L’informatique quantique en quelques mots …

Xavier Vasques
7 min readNov 13, 2021
Photo by Annamária Borsos

Afin de rassurer toutes les personnes qui lisent cet article, Niels Bohr, figure célèbre de la mécanique quantique, alertait ses lecteurs en disant : « Quiconque n’est pas choqué par la théorie quantique ne la comprend pas.»

Un autre grand théoricien de la mécanique quantique, Richard Feynman, se plaisait à dire à ses étudiants :

« Je pense pouvoir dire sans trop me tromper que personne ne comprend la mécanique quantique.»

Ces phrases ne veulent pas dire que les deux physiciens ne comprenaient pas la mécanique quantique scientifiquement, mais que cette dernière échappe à notre intuition et comment nous percevons la réalité.

La mécanique quantique est la théorie mathématique-physique qui décrit la structure fondamentale de la matière ainsi que l’évolution dans le temps et l’espace des phénomènes de l’infiniment petit. Une notion essentielle de la mécanique quantique est la dualité « onde corpuscule ».

Jusqu’aux années 1890, les physiciens considèrent que le monde est composé par deux types d’objets ou de particules : d’une part celles qui ont une masse (comme les électrons, les protons, les neutrons, les atomes …), d’une autre part celles qui n’en n’ont pas (comme les photons, les ondes …).

Pour les physiciens de l’époque, ces particules sont régies par les lois de la mécanique Newtonienne pour celles qui ont une masse et par les lois de l’électromagnétisme pour les ondes. Nous disposons de deux théories de la physique pour décrire deux types d’objets différents. La mécanique quantique invalide cette dichotomie et introduit l’idée fondamentale de la dualité onde corpuscule. Les particules de matière ou les ondes doivent être traitées par les mêmes lois de la physique. C’est l’avènement de la mécanique ondulatoire qui deviendra quelques années plus tard la mécanique quantique. Nous pourrions dire que l’informatique quantique a débuté lors d’une conférence, désormais célèbre, en 1981, organisée conjointement par le MIT, sur la physique de l’informatique.

Le physicien lauréat du prix Nobel Richard Feynman a mis au défi les informaticiens d’inventer un nouveau type d’ordinateur basé sur des principes de la physique quantique, afin de mieux simuler et prédire le comportement de la matière réelle :

« Je ne suis pas satisfait de toutes les analyses qui vont avec juste la théorie classique, parce que la nature n’est pas classique, bon sang, et si vous voulez faire une simulation de la nature, vous feriez mieux de la faire avec la mécanique quantique… »

Quelles sont ces principes ?

La supersposition : Un objet quantique peut exister dans une infinité d’états (tant qu’on ne mesure pas cet état). Un qubit, un bit quantique, peut donc exister dans n’importe quel état entre 0 et 1. Les qubits peuvent prendre à la fois la valeur 0 et la valeur 1, ou plutôt « une certaine probabilité d’être 0 et une certaine probabilité d’être 1 ». Là où un bit classique ne décrit « que » 2 états (0 ou 1), le qubit peut en représenter une « infinité ». Nous pouvons donner l’image du ticket de loterie pour comprendre ce principe. Lorsque vous achetez un ticket de loterie, ce dernier peut-être à la fois gagnant ou perdant. Il a une certaine probabilité d’être gagnant et une certaine probabilité d’être perdant. Ce n’est qu’au moment de la mesure, le tirage, que nous savons s’il est gagnant ou perdant.

L’intrication : L’intrication est une autre propriété étonnante de la physique quantique. Lorsque l’on considère un système composé de plusieurs qubits, il peut leur arriver de « lier leur destin » c’est-à-dire de ne pas être indépendants l’un de l’autre même s’ils sont séparés dans l’espace (alors que les bits « classiques » sont complètement indépendants les uns des autres). C’est ce que l’on appelle l’intrication quantique. Si l’on considère un système de deux qubits intriqués alors la mesure de l’état d’un de ces deux qubits nous donne une indication immédiate sur le résultat d’une observation sur l’autre qubit. Pour illustrer ce principe, imaginez un hameau de plusieurs maisons. Si les ampoules dans chaque maison sont intriquées, il suffit de connaître l’état d’une seule ampoule pour connaître l’état de toutes les autres ampoules dans chaque maison.

Le principe d’incertitude découvert par Werner Heisenberg en 1927, qui nous dit que quel que soit nos outils de mesure, nous sommes incapables de déterminer précisément à la fois la position et la vitesse d’un objet quantique (à l’échelle atomique). Soit nous savons précisément où se trouve l’objet et la vitesse semblera fluctuer et devenir floue, soit nous avons une idée précise de la vitesse mais sa position nous échappera.

Julien Bobroff dans son livre La quantique autrement : garanti sans équation ! Décrit l’expérience quantique en trois actes :

Le premier moment se situe avant la mesure où l’objet quantique se comporte comme une onde. L’équation de Schrödinger nous permet de prévoir avec précision comment cette dernière se propage, à quelle vitesse, dans quelle direction, si elle s’étale ou se contracte. Ensuite c’est la décohérence qui fait son apparition. La décohérence se passe de manière extrêmement rapide, quasi instantané. C’est à ce moment précis que l’onde entre en contact avec un outil de mesure (par exemple un écran fluorescent). Cette onde est obligée d’interagir avec les particules qui composent ce dispositif. C’est le moment où l’onde se réduit. La dernière étape, c’est le choix aléatoire parmi tous les états possibles. Le tirage au sort est lié à la forme de la fonction d’onde au moment de la mesure. En fait, seule la forme de la fonction d’onde à la fin du premier acte dicte sa probabilité d’apparaître ici ou là.

Un autre phénomène de la mécanique quantique est l’effet tunnel. Julien Bobroff donne l’exemple d’une balle de tennis. A l’inverse de celle-ci, une fonction d’onde quantique ne rebondit que partiellement contre une barrière. Une petite partie peut pénétrer de l’autre côté par effet tunnel. Cela implique que si la particule est mesurée, elle se matérialisera tantôt à gauche du mur, tantôt à droite.

Un ordinateur quantique, utilise donc les lois de la mécanique quantique pour faire des calculs. Il faut pour cela être dans certaines conditions, parfois extrêmes, comme plonger un système dans de l’helium liquide pour atteindre des températures proches du zéro absolu soit -273.15°C.

Où en sommes-nous ?

IBM a été la première entreprise à fournir un accès public à un ordinateur quantique sur le cloud — un système de 5 qubits en 2016. IBM a aujourd’hui 38 ordinateurs quantiques, dont un système à 65-qubit. Cette ouverture au public a permis à plus de 325 000 utilisateurs de lancer des centaines de milliards d’exécutions de circuits sur du matériel réel et des simulateurs. L’accès à ses machines a conduit à la publication de plus de 700 papiers de recherche par des chercheurs non-IBM. IBM a également construit un réseau de plus de 150 membres, que l’on appelle IBM Quantum Network, ayant un accès privilégié aux dernières technologies quantiques pour travailler notamment sur des cas d’usages. IBM Quantum Network est composé de grands groupes, de startups, d’université et laboratoire partout dans le monde.

Il est difficile pour un ordinateur classique de calculer de façon exacte (c’est-à-dire sans aucune approximation) l’énergie de la molécule de caféine, pourtant de taille moyenne avec 24 d’atomes, c’est un problème très complexe. Nous aurions approximativement besoin de 10⁴⁸ bits pour représenter la configuration énergétique d’une seule molécule de caféine à un instant t. Soit presque le nombre d’atome admis sur terre qui est de 10⁵⁰. Mais nous pensons qu’il est possible de le faire avec 160 qubits.

Mais ce ne n’est pas la seule limite. Pour vous donner une illustration simple, nous pouvons parler du problème dit « du vendeur itinérant », ou plus exactement aujourd’hui, le problème de l’acheminement des camions de livraison. Si vous souhaitez choisir l’itinéraire le plus efficace pour qu’un camion livre des colis à cinq adresses, il existe 12 itinéraires possibles, il est donc au moins possible d’identifier le meilleur. Cependant, à mesure que vous ajoutez d’autres adresses, le problème devient exponentiellement plus difficile — au moment où vous avez 15 livraisons, il y a plus de 43 milliards d’itinéraires possibles, ce qui rend pratiquement impossible de trouver le meilleur. Par exemple, pour 71 villes, le nombre de chemins candidats est supérieur à 5 × 10⁸⁰.

À l’heure actuelle, l’informatique quantique est adaptée pour certains algorithmes comme l’optimisation, le Machine Learning ou la simulation. Avec ce type d’algorithmes, les cas d’usage s’appliquent dans plusieurs secteurs industriels. Les services financiers comme l’optimisation des risques du portefeuille, la détection des fraudes, la santé (recherche de médicaments, étude des protéines, etc.), les chaînes d’approvisionnement et la logistique, la chimie, la recherche de nouveaux matériaux ou le pétrole sont autant de domaines qui vont être prioritairement impactés.

Nous pouvons aborder plus spécifiquement le futur de la recherche médicale avec le quantique qui devrait permettre à terme de synthétiser des nouvelles molécules thérapeutiques.

Si nous voulons relever le défi du changement climatique par exemple, nous devons résoudre de nombreux problèmes tels que concevoir de meilleures batteries, trouver des moyens moins énergivores de cultiver nos aliments et planifier nos chaînes d’approvisionnement pour minimiser les transports. Résoudre efficacement ces problèmes nécessite des approches informatiques radicalement améliorées dans des domaines tels que la chimie et la science des matériaux, ainsi que dans l’optimisation et la simulation — des domaines où l’informatique classique est confrontée à de sérieuses limitations.

Quelles sont les défis encore à relever ?

Aujourd’hui, les défis que les chercheurs doivent surmonter sont d’ordre technologique comme la stabilité dans le temps. Quand vous faites tourner un algorithme quantique sur un ordinateur quantique en réel, il y a énormément d’externalités qui peuvent venir perturber l’état quantique de votre programme, qui est déjà très fragile. Un autre challenge technologique concerne la quantité de qubits que l’on va pouvoir prendre en considération. A chaque fois qu’on augmente la capacité d’un ordinateur quantique d’un qubit, on réduit sa stabilité. Un autre défi, c’est que nous allons être obligés de repenser l’intégralité de l’algorithmie qu’on connaît pour l’adapter à l’informatique quantique. Nous n’avons pas à l’heure actuelle de passerelles efficaces entre l’informatique classique et l’informatique quantique. IBM a publié récemment une roadmap afin de partager ses axes de travails et avancées.

Sources

Julien Bobroff, La quantique autrement : garanti sans équation !

Xavier Vasques, The data center of tomorrow is made up of heterogeneous accelerators, https://arxiv.org/abs/2003.10950

Xavier Vasques, Une nouvelle étape pour l’informatique : Binaire, Biologique, Quantique (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02512470/)

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Xavier Vasques

CTO and Distinguished Data Scientist, IBM Technology, France Head of Clinical Neurosciences Research Laboratory, France